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Un éclairage sur le blanchiment en Belgique
© Federale Police - Polimagery

Un éclairage sur le blanchiment en Belgique

Selon le dernier rapport de la CTIF, le montant des transactions douteuses découvertes en Belgique en 2023 dépasse les 2 milliards, soit 50% de plus qu’en 2022. Nous allons voir quels schémas de blanchiment ont été mis en évidence.

Les infractions de base

Le rapport pointe les infractions principales donnant lieu aux opérations dont question en les qualifiant parfois de menaces. Tout particulièrement, il s’agit du trafic de stupéfiants puisque la Belgique est considérée « comme le principal point d’importation de la cocaïne en Europe, mais aussi un pays producteur et de transit pour les drogues de synthèse et le cannabis. » Les risques proviennent aussi des actes de violences posés par les trafiquants pour régler leurs comptes et réaliser leurs opérations. D’aucuns craignent aussi que leurs énormes profits polluent l’activité légale. 

La CTIF relève en outre que l’escroquerie est la principale infraction sous-jacente au blanchiment dans les dossiers qu’elle transmet aux autorités judiciaires. Il est aussi question de la cyberfraude (Cyber-Enabled Fraud ou CEF) réalisée via les NTIC (hameçonnage, phishing, fraude par usurpation d’identité, fraude romantique, etc.). Enfin, l’avertissement à ne pas sous-estimer la fraude fiscale grave voire la corruption est très clair.

Les modalités de blanchiment

D’abord, on peut observer que des criminels blanchissent eux-mêmes leurs avoirs illicites (auto-blanchiment), souvent limités (autour des 200.000 euros maximum). Ils déposent les fonds sur leur propre compte ou ceux de leurs sociétés. Ainsi, ils peuvent notamment mixer l’argent sale et celui de leurs activités légales (ex : secteur voiture de luxe ou Horeca). Parfois, ils reçoivent un « prêt » d’un complice, souvent un ami ou un parent, versé sur leur compte et remboursé en espèces.
Dans d’autres cas, ils achètent des véhicules coûteux en déclarant une partie du montant tandis que le solde est payé en « noir » et en espèces. Il arrive aussi qu’ils louent des véhicules de luxe auprès de sociétés de leasing étrangères.
Dans le domaine immobilier, ils achètent des maisons utilisées ensuite pour abriter des plantations. Parfois, ils acquièrent des immeubles qu’ils rénovent en payant les travaux au « noir ». Dans ce cas, la plus-value réalisée lors de la revente permet de blanchir l’investissement non déclaré.
Ils effectuent aussi des placements en acquérant certains objets, comme des montres de luxe. Celles-ci sont facilement transportables à travers les frontières et elles peuvent être revendues sans perte car leur valeur est stable.

Plus généralement, surtout en matière de trafic de stupéfiants, l’argent sale sera blanchi via des réseaux professionnels internationaux, sachant que les montants en jeu s’élèvent à plusieurs millions d’euros. Différentes techniques sont utilisées pour dissimuler la traçabilité des flux financiers, notamment :

  • La compensation : il s’agit d’un processus de collaboration entre criminels, les uns remettant aux autres des espèces de la main à la main avec pour compensation des transferts bancaires sur des comptes souvent à l’étranger, sous couvert de fausses factures ;
  • Le blanchiment basé sur le commerce ou le commerce de blanchiment d’argent (TBML) soit la dissimulation des gains criminels et le déplacement de la valeur en ayant recours à des transactions commerciales pour tenter de légitimer leur origine illégale ou de financer leurs activités (définition du GAFI) ;
  • Les paiements pour compte de tiers : ce sont les paiements effectués par un tiers au nom ou pour le compte d’un payeur et en faveur d’un bénéficiaire ;
  • Utilisation de sociétés dormantes « impliquant des experts qui utilisent leurs propres infrastructures pour donner aux activités des criminels une apparence de légitimité. Entrent aussi en jeu une constellation de sociétés, divers comptes bancaires et de nombreux hommes de paille/mules sur un plan international. » Ceci permet « d’opacifier les opérations »,

L’implication de professionnels peut se limiter à offrir des services et des conseils de différentes natures comme l’indique la CTIF : accompagnement à la création de sociétés, élaboration du plan financier, constitution de sociétés, acquittement des frais de constitution, inscription auprès de la Banque carrefour des entreprises et de l’Administration de la TVA, préparation de bilans, fiches de salaires et fiches TVA, fourniture d’un siège social, de locaux, d’une adresse commerciale, administrative ou postale.

La plus grande difficulté rencontrée par la CTIF – mais aussi par les enquêteurs – est de relier les personnes impliquées dans ces opérations de blanchiment aux infractions de base (ex : trafic de stupéfiants). Les raisons sont multiples : l’utilisation d’espèces, le caractère international des opérations, le nombre de sociétés utilisées pour opacifier les flux financiers, etc. Il est dès lors difficile d'identifier l'origine exacte des avoirs.

En outre, pour complexifier plus encore la recherche, il est parfois fait appel à des « banques souterraines », c’est-à-dire à un système bancaire clandestin qui fonctionne parallèlement au système financier légal, permettant de transférer d’importantes quantités d'argent sur un plan international. Il s’agit d’un système fonctionnant comme le hawala.

Claude BOTTAMEDI
Chef de corps d’une zone de police er

Source :
Rapport d’activités 2023, CTIF, sur : https://www.ctif-cfi.be/images/documents/French/Rapports_annuels/RA2023_FR.pdf