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Armes 3D : Quelles qualifications pénales ?
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Armes 3D : Quelles qualifications pénales ?

La fabrication d’une arme 3D signifie de facto détention de l’arme, ou cession, vente, port, usage de celle-ci. Nous analysons les infractions pénales qui entrent en jeu selon les cas. Également, une interrogation concernant les usagers potentiels et les risques.  

La question des infractions

Nous avons vu précédemment les qualifications pénales relatives à la fabrication.

Une fois fabriquée, l’arme doit en principe être éprouvée par le Banc d’Epreuve de Liège (6) et doit porter un numéro d’identification pour pouvoir être enregistrée au RCA. (9). A défaut, il s’agit d’arme prohibée et l’article 8 de la loi du 8 juin 2006 dispose que : « Art. 8. Nul ne peut fabriquer, réparer, exposer en vente, vendre, céder ou transporter des armes prohibées, en tenir en dépôt, en détenir ou en être porteur.” La chose est évidente. Cette arme est prohibée et aucune circonstance ne permet d’en justifier la simple détention a fortiori le port et l’usage.

Par la même disposition, la cession sous quelque forme que ce soit tombe sous le coup de la Loi. L’article 8, 2° alinéa prévoit une saisie, une confiscation et une destruction “…même si elles n’appartiennent pas aux condamnés.” Étant entendu qu’il faut alors rencontrer la condition de mauvaise foi imposé par l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 19 juillet 2018 (Arrêt numéro 99/2018) et ne pas tomber dans l’exception des objets transformés, modifiés ou mélangés afin d’être utilisés comme armes, ce qui me semble être par nature le cas d’une arme illicite 3D. Il y a donc un élément subjectif lié à l’auteur, ses motivations, sa volonté, son éventuelle erreur de “bonne foi” et un élément objectif qui relève de la nature juridique de l’objet. Il sera cependant difficile de prétendre à la bonne foi et encore moins de contester le caractère “arme” d’une arme 3D qui tombe nécessairement dans la qualification légale “d’arme à feu”.

Il est également interdit de vendre des armes par internet ou d’en faire la publicité (10) ou encore de les acquérir (11).
L’article 23 de la loi du 8 juin 2006 prévoit : ” … un mois à cinq ans et d'une amende de 100 euros à 25 000 euros, ou d'une de ces peines seulement” ainsi que la confiscation, obligatoire en cette situation. La tentative est également punie : ” … de huit jours à trois ans et d'une amende de vingt-six euros à quinze mille euros, ou d'une de ces peines seulement.”

La question de la tentative n’est pas simple. Le fait de disposer du matériel, machine et programme peut-il être considéré comme un acte préparatoire suffisamment caractérisé pour asseoir une prévention de tentative ? S’il y a construction d’ébauche, de prototype, de préparation de pièces, il semble que la qualification puisse être rencontrée. Par contre la simple détention d’une machine 3D et de plans de fabrication ne semble pas à suffisance caractérisée sauf autres éléments concrets qui permettraient de déterminer que l’auteur s’est donné les moyens de commettre une infraction. A cet égard il convient de renvoyer aux auteurs et à la jurisprudence de la Cour de cassation (12). Il reste que la présence d’une telle conjugaison de matériel et de programme constitue des indices graves et des charges sérieuses.

Il est également important de relever qu’hors la loi du 8 juin 2006 relative aux armes, la fourniture d’une arme emporte un élément de participation au sens du Code Pénal général. On relèvera l’arrêt de la Cour d’Assise Spécial en France du 4 avril 2024. La fourniture d’armes et munitions a valu 30 ans de réclusion au fournisseur d’armes des attentats de Strasbourg du 11 décembre 2018. Il en aurait été de même avec des armes 3D.

Qui est concerné ?

Sociologiquement, quel est le public cible des armes 3D ? Vaste question ! Excluons les tireurs et chasseurs ; ces armes sont inutilisables dans un stand ou à la chasse. L’intérêt de ces armes se trouve dans leur nature. Ces armes sont intraçables, non identifiables et non connues. La fabrication ne nécessite aucune connaissance spécifique et l’appareillage est très vite rentabilisé. Elles échappent à tout contrôle et constituent une source de revenus.

Par contre, même si la fiabilité d’usage a fait de grands progrès, ces armes ne semblent pas encore attirer le grand banditisme. Ces objets se retrouvent actuellement dans les milieux idéologiques extrémistes. A n’en pas douter il y aura, ou il y a déjà, un phénomène de percolation qui amènera les truands de droit commun à s’y intéresser. On peut aussi craindre le « loup solitaire » fomentant une action terroriste. L’avenir, si tant est qu’il puisse être pronostiqué, me semble résider dans la création artisanale d’armes 3D électromagnétiques. Les deux technologies associées rendront vide de sens la difficulté de l’approvisionnement en munitions (13). Il s’agirait d’armes non-à-feu au sens de la Loi. Serait-elle « libre » au sens de la loi si sa longueur est supérieure à 60 centimètres ? Il y a là une question à laquelle il faudra répondre.

Comment y répondre ? Interdire totalement les ordinateurs, les imprimantes 3D et l’accès à Internet sont les seules solutions efficaces mais de tels interdits sont incompatibles avec nos valeurs démocratiques. En revanche, rien n’empêche, à l’instar des images pédopornographiques, d’établir un texte prohibant pénalement le téléchargement de programmes « armes 3D ». L’on peut également envisager d’ajouter à l’article 8 de la loi du 8 juin 2006 « …et les programmes informatiques téléchargés en vue de les construire en tout ou partie » (14), « partie » étant compris au sens de « pièce essentielle », « en vue de » car la simple curiosité me semble devoir échapper à une répression toujours plus invasive. Une telle modification législative, assez simple, serait un début de réponse et une judicieuse alerte au Citoyen.

Articles précédents :
Armes 3D : une problématique à surveiller
La fabrication illicite ou "l’Uberisation" des armes 3D   


Yves DEMANET
Avocat

(1) https://www.cbc.ca/news/canada/3d-printed-guns-canada-increase-1.6708049
(2) https://www.lesoir.be/566343/article/2024-02-05/saisie-darmes-imprimees-en-3d-onze-suspects-interpelles-en-belgique-et-en-france 
(3) UFA « Union française des amateurs d’armes », https://www.armes-ufa.com/spip.php?article3176 27 septembre 2022, par Michaël Magi vice Président de l’UFA et https://www.armes-ufa.com/spip.php?article2282 jeudi 9 août 2018, par Hadrien NEUMAYER.
(4) https://www.youtube.com/watch?v=wMyMLMkh0PU 
(5) https://www.youtube.com/watch?v=d9JJrjvWvT0 
(6) https://www.lesechos.fr/2013/11/une-societe-fabrique-la-premiere-arme-en-metal-en-3d-346232 
(7) AR du 26 avril 2017 (Moniteur 18/05/2017) et la liste en son annexe 1 remplacé par l’AR du 10 mars 2022 (Arrêté royal relatif au banc d'épreuves des armes à feu), Moniteur du 19 avril 2022
(8) La loi sur les armes 8 juin 2006. Art.3§1. 15° : pièces prohibées
(9) Loi du 8 juin 2006, Art. 4 : »Toutes les armes à feu fabriquées ou importées en Belgique doivent être inscrites dans un registre central des armes, dans lequel un numéro d'identification unique leur est attribué »
(10) Article 19 1° et 3° loi du 8 juin 2006
(11) Article 19, 8°, loi du 8 juin 2006.
(12) F KUTY, Principes Généraux du droit pénal belge, Tome 2 , 2.éd., Larcier, 2020, chapitre 7 et Cass., 23/05/2012, Pas., 2012, p. 1173, F-20120523-1 ; Cass., 17 janvier 2024, F.23.1339 F.
(13) Voir déjà le GR-1 Anvil ou le Coil Accelerator CA-09 – TFB
(14) Le projet de loi C-21 du gouvernement fédéral canadien prévoit de sanctionner la possession ou la distribution de données informatiques « relatives à des dispositifs interdits et pouvant être utilisées avec une imprimante 3D » à des fins de fabrication ou de trafic d’armes à feu. Le projet prévoit une peine maximale d’emprisonnement de dix ans pour ce délit. https://www.parl.ca/legisinfo/fr/projet-de-loi/44-1/c-21