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Violences corporelles : imputer les lésions et l’incapacité de travail personnel
© Botta@

Violences corporelles : imputer les lésions et l’incapacité de travail personnel

A la suite d’une plainte pour coups et blessures, le magistrat devra se prononcer sur la gravité des lésions et leurs conséquences, dont l’incapacité de travail personnel. L’expertise du médecin légiste constituera un atout pour justifier ces décisions.

Prononcer ou non l’incapacité de travail personnel ?
Nous n’aborderons pas les notions complexes de « maladie paraissant incurable », de « perte de l’usage absolu d’un organe », de « mutilation grave », qui sont de très vieilles définitions remontant au XIXe siècle, et renvoyons le lecteur à un précédent article rédigé par nos soins (Beauthier, 2007). Ces notions sont adaptées et modernisées dans le projet de loi du futur livre II précité, visant les atteintes à l’intégrité des deuxième et troisième degrés.

Parlons de "l’incapacité de travail personnel". Ce n’est pas une simple plaie occasionnant par la suite un préjudice esthétique. Il faut qu’il y ait une limitation de la fonction, générant un problème dans l’activité de tous les jours de la personne. Si l’on cite les bons auteurs, il convient d’entendre par incapacité de travail personnel, l’impossibilité de se livrer à un travail corporel (Marchal et Jaspar, 1965).
La notion d’incapacité de travail personnel, ne se rapporte certes pas au sens commun (ne plus être apte à exercer sa profession) mais vise essentiellement l’impact du traumatisme sur l’activité quotidienne de la victime, que celle-ci exerce une profession ou non. En effet, dans notre société démocratique, que la victime soit un enfant, un chômeur, un artisan, ou autre, elle a les mêmes droits.
Le juge – pas plus que le médecin légiste appelé à donner son avis – ne doit tenir compte de l’état de santé de la victime, du fait qu’il s’agit d’un intellectuel, que la blessure encourue n’empêchera pas de poursuivre ses travaux habituels. Ces éléments entreront en ligne de compte par la suite, lors de l’évaluation du dommage dans le cadre de l’expertise judiciaire.

En ce qui concerne cette notion d’incapacité de travail personnel, le projet de loi se rapportant au Code pénal précise fort heureusement qu’il faut « éviter la confusion avec la notion ‘’d’incapacité de travail’’ du droit social. Il faut en effet rappeler que l’incapacité de travail personnel ne concerne pas les activités professionnelles concrètes de la victime, mais bien la possibilité abstraite de la victime d’accomplir un travail habituel ou une activité quelconque. Il s’agit de la capacité ou non de fonctionner normalement et d’accomplir des tâches quotidiennes. Elle n’est donc pas liée aux activités professionnelles concrètes de la victime : on examine la gravité intrinsèque des conséquences, indépendamment de la profession, du statut social, des habitudes et du mode de vie de la victime. Les mineurs ou retraités, p. ex., peuvent aussi être frappés d’une incapacité de travail personnel. Cette incapacité peut être de nature tant physique que psychique […] ».

Comment interpréter les lésions ?
Le rôle important du médecin légiste sera d’attribuer si faire se peut, telle lésion à telle origine crédible et c’est là, son approche toute différente du médecin thérapeute, qui n’est pas formé à cette discipline complexe (Baccino, 2024 ; Beauthier, 2022).
L’abrasion révèle l’impression cutanée d’un objet. Sa description soigneuse aidera le magistrat et pourra le cas échéant, définir des notions plus sévères (par exemple l’utilisation d’un câble électrique pour flageller la victime et aboutir à la notion de sévices, de tortures, termes introduits plus récemment dans le Code pénal actuellement en vigueur).
Quel est l’âge de cette ecchymose ? Quand est-elle survenue et comment ? La réponse est la même et est difficile. La couleur de l’ecchymose peut nous aider à définir sa survenance. Une ecchymose très récente passe à la couleur bleue (le «bleu» dans le jargon populaire). Elle évoluera vers les teintes violettes ou bleuâtres en 1-3 jours, verdâtres en 4-10 jours, brun jaunâtre en 10-15 jours. Elle disparaît en 2 à 3 semaines, par résorption à partir de sa périphérie. Notons que les lésions très superficielles peuvent disparaître en une semaine. Le verdict est donc difficile !
Spécifions qu’une ecchymose profonde peut rester de teinte rouge car l’hémoglobine n’est pas oxydée par la lumière et constituer également un piège majeur dans le cadre diagnostique. Les ecchymoses au niveau de la conjonctive oculaire, à ne pas confondre avec les paupières (qui vont rapidement être bleu foncé et vont gonfler, c’est l’œil «au beurre noir»), ont et gardent une coloration rouge bien longtemps.
Outre ce piège ecchymotique, il faudrait encore passer en revue les plaies, les plaies contuses, les orifices balistiques, les brûlures, les lésions d’origine électrique, chimique, etc. 

L’expertise décisive du médecin légiste
Le médecin légiste est un pion essentiel pour le magistrat face à un dossier de coups et blessures. Doit-il appliquer l’article 399 ou l’article 400 du Code pénal ? Qui, à part le médecin légiste, est capable d’estimer la gravité des lésions et de leurs conséquences actuelles ?
Le dossier du médecin légiste à destination du magistrat, doit être bien monté et aisé à comprendre (une photo vaut mieux que de longs paragraphes de description que personne ne lira). Il est en définitive une aide formidable pour l’évolution et la bonne destination de toute la procédure pénale.

Article précédent : Violences corporelles : l’examen décisif du médecin légiste

Prof. Dr. François BEAUTHIER MD (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)
Prof. Dr. Jean-Pol BEAUTHIER MD PhD (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)
Institut Médico-légal Hainaut Namur, rue de Masses-Diarbois 112 – 6043 Charleroi )
Unité de médecine légale et d’anthropologie médico-légale - Laboratoire d’Anatomie, Biomécanique et Organogenèse (LABO – ULB Campus Érasme CP 619 - Bruxelles) 

Références – pour en savoir plus
Baccino E. Médecine de la violence pour le praticien. 3e édition. Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Masson (collection : « pour le praticien Masson »), 2024.

Beauthier J-P, Beauthier F, Raul J-S. Traumatologie médico-légale générale. In: Beauthier JP (ed) : Traité de médecine légale et criminalistique 3e édition. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur ; 2022. pp. 207-245.

Beauthier J-P (2007) L'atteinte aux personnes. Quelques articles du code pénal sous la loupe du médecin légiste. Revue belge du dommage corporel et de médecine légale 34e année :3-14.

Beauthier J-P (1996) Quelques réflexions à propos de l'expertise médico-légale en matière pénale. Revue belge du dommage corporel et de médecine légale 23e année : 51-62.