Fin 2022, la rivalité entre bandes de drillrapers aurait coûté la vie à un jeune de 16 ans, à Anvers. A Londres, on compterait plus de 60 victimes de ce phénomène. Mais que représente le "drill rap" et est-il réellement la cause de ces meurtres ?
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Le Phénomène « Drill rap »
Si le rap consiste à réciter des textes révoltés sur un rythme répétitif, le « Drill rap » y ajoute une dimension de violence particulière. Il se réfère aussi à la vie dans les rues mais se concentre sur le côté agressif, sombre, violent et prend pour objet les armes à feu et les fusillades. Il serait apparu en 2010 dans le South Side de Chicago pour se répandre ensuite à New-York mais aussi en Grande-Bretagne, principalement dans le quartier de Brixton à Londres.
De nombreuses chansons de « Drill rap » peuvent être classées dans la catégorie des « diss songs ». Ces chansons mobilisent de nombreux termes argotiques visant à s’en prendre violemment à un groupe de personnes, généralement un autre gang, en marquant de cette manière une profonde rivalité. Il y est question d’insultes, de morts, d’attaques sanglantes, etc. (ex : Computers Remix de Wooski). Ainsi, des gangs s’affrontent à travers des clips postés sur les réseaux sociaux (YouTube, etc.). Souvent, ils se mettent en scène, cagoulés, armés, dans des poses belliqueuses.
Connu sous le nom de « Drill UK » en Grande-Bretagne, ce phénomène a fait réagir la police londonienne qui a mené des opérations visant à traquer ces clips sur le net. Elle a ainsi obtenu un statut de « trusted flagger » ou « signaleur de confiance » par YouTube, ce qui s’est traduit par la suppression de nombreuses publications qualifiées de « Drill UK ».
Le rappeur anglais Digga D, star de la UK drill, doit désormais prévenir la police au moins 24 heures avant de sortir de nouveaux sons, et lui fournir les paroles. [Lambent Productions - DR]. Il a 20 ans, c'est une star de la UK drill. En 2018, il a écopé d'un an de prison pour "complot en vue de commettre des troubles violents". À son procès, certains de ses clips ont été présentés comme preuves, et depuis, la justice lui interdit de produire des titres dans lesquels il parlerait de violences liées aux gangs.
Et en Belgique ?
Ce phénomène culturel qui a pris naissance aux Etats-Unis influence l’Europe occidentale. Ancré à Amsterdam et à Rotterdam depuis un certain temps, le « Drill rap » serait à l’origine de confrontations mortelles entre bandes de drillrapers.
On dispose de peu d’informations sur le sujet en Belgique. Le « Drill rap » toucherait actuellement certaines grandes villes belges où des observateurs notent que s’en prendre à un des membres d’une bande rivale confèrerait des points qui vont crescendo en fonction du degré de violence de l’acte. Le risque d’escalade est bien présent d’autant que ces défis ont du succès auprès des gangs de jeunes.
Dans la métropole d’Anvers par exemple, le phénomène s'est signalé depuis l’été dernier. Le parquet de la Jeunesse et la section de la criminalité juvénile de la police d’Anvers suivent bien évidemment ces manifestations et, d’après le parquet anversois, une cinquantaine d’incidents ont déjà été enregistrés dans le milieu rap drill, sans conséquences systématiquement graves cependant. L’union des villes et des communes de Flandre a récemment organisé une formation afin d’aider les autorités locales à détecter les activités liées au Drillrap et soutenir leur intervention. La problématique a par ailleurs également attiré l’attention du gouvernement flamand.
Il est clair que dans tous les cas, la gestion du phénomène "Drill rap" requerra du temps et nécessitera la collaboration de plusieurs partenaires.
Le « Drill rap » est-il en cause ?
Mais la violence des gangs est-elle bien liée au « Drill rap » ? Pour y répondre, nous nous référons à l’une des rares études menées sur le sujet en Grande-Bretagne. Ainsi, Bennett Kleinberg et Paul McFarlane ont tenté de vérifier s’il existait un lien causal entre ces deux variables en menant une étude empirique.
Leurs conclusions sont les suivantes :
- Les paroles de la drill music ne sont pas devenues plus négatives au fil du temps ; au contraire, elles sont devenues plus positives ;
- Il n'y a pas de relation significative entre la « drill » et la violence « réelle » lorsqu'on la compare à trois types de données sur les crimes violents enregistrés par la police à Londres (homicide, vol de biens personnels et violence avec blessure). Autrement dit, rien n’indique que la négativité des paroles des chansons soit un facteur déterminant de la criminalité ;
- Les vidéos dont le langage est trop négatif n'ont pas attiré plus de vues ni suscité plus d'engagement sur YouTube et, d'autre part, les vidéos qui contenaient un sentiment plus positif ont été vues deux fois plus souvent sur YouTube ;
- En outre, ils soutiennent que la politique criminelle actuelle est déconnectée de la réalité, et que des hypothèses plus adéquates devraient être proposées pour prendre des décisions à l'égard de la « drill ».
- Néanmoins ces chercheurs n’excluent pas que, dans certains cas particuliers, la « drill » ait pu inciter la commission de certains actes violents auxquels ils n’ont pas eu accès lors de leur recherche. D’autres études sont nécessaires.
Enfin pour d’autres, rap et violence des gangs sont avant tout symptomatiques de problèmes sous-jacents : la pauvreté, le manque d'opportunités, les logements précaires, le manque d'éducation, etc.
Claude BOTTAMEDI
Chef de corps d’une zone de police er
Sources :
Bennett Kleinberg, et Paul McFarlane, « Violent music vs violence and music : Drill rap and violent crime in London », sur :
https://www.researchgate.net/publication/340541694_Violent_music_vs_violence_and_music_Drill_rap_and_violent_crime_in_London
Monnier Pierre, « Sur Internet, la police traque la drill, un sous-genre de rap, pour la faire disparaître », sur :
https://www.bfmtv.com/tech/sur-internet-la-police-de-londres-traque-la-drill-un-sous-genre-de-rap-pour-le-faire-disparaitre_AN-202208300012.html
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